Observation nocturne
À 30 ans, j’entame une décennie en essayant de m’accrocher à la précédente, comme pour la revivre. Dans ce pari contre le temps et la désuétude, je côtoie des jeunes de vingt ans, ayant lâché irrémédiablement l’insouciance de l’enfance pour une vie nocturne décomplexée. Ils appréhendent cette décennie, avec une peur semblable à celle que j’ai de la quitter à jamais.
Un soir, on se surprend à dire « quand j’avais ton âge » ou « nous, à l’époque… » et c’est là que les regards des jeunes portent sur vous, avec dédain, l’image du vieux con que vous êtes en train de devenir.
Mais si les gens commencent leur week-end dès le jeudi, voire le mardi pour les plus malheureux, c’est qu’il y a un malaise dans cette société. Les personnes que tu peux voir un jeudi soir dans un bar, ce ne sont pas des gens heureux.
Il vous suffit de les regarder. Ils sombrent dans l’alcool pour noyer leurs déceptions. C’est vrai que passer une certaine heure, ils semblent guillerets… C’est une façade où l’alcool, et sa puissance galvanisante, anime pour quelques heures les visages. Ils ne consomment pas des verres, mais accèdent plutôt à des shoots d’évasion. Si on pouvait creuser les pensées de ces âmes errantes, on trouverait que des névrosés de la vie : des dépressifs, des gens mal dans leur peau, des gens seuls, des êtres en manque de confiance en eux. Et ces écorchés du bien-être pour tous se retrouvent dans leur bar préféré où ils semblent former une famille. Une famille qu’on choisit, une famille qui nous a choisis. Les cerveaux tordus ont remplacé les gueules cassées. En même temps, on n’a plus la tête sur les épaules à force de se la mettre à l’envers chaque week-end.